Cité Moillebeau

Cité Moillebeau       (111)

1927 – 1928

Non réalisée

 

Programme: Plan de quartier comprenant 950 logements sociaux, commerces et équipements

Localisation: Genève, Moillebeau

Maître d’ouvrage: Commune du Petit-Saconnex

 

En 1927-1928, Maurice Braillard et Léon Nicole élaborent un projet de constructions économiques pour le quartier de Moillebeau au Petit-Saconnex, une commune dont Nicole était Conseiller administratif depuis 1922. Sur un vaste terrain en bordure de ville et en pente douce en direction du Sud-Est, Braillard implante 14 groupes d’immeubles séparés par des surfaces gazonnées larges de 42 mètres de manière symétrique et perpendiculaire à une avenue centrale. Cet ensemble de 950 logements, commerces et équipements sera publié dans une brochure à visée politique au titre péremptoire «Ce que chaque locataire doit lire! Le problème du logement à Genève, SA SOLUTION».

À revendication politique claire, image forte. Du projet réformiste d’un logement salubre pour tous, Braillard va donner une représentation quasi téléologique. Téléologie immanente toutefois: socialisme oblige, le point de vue est bien celui d’un spectateur, d’un homme ou d’une femme rivée au sol. À contre-jour, face au rayonnement cosmique d’un soleil couchant digne du Grand soir de la révolution qui voit l’avènement d’un ordre social nouveau, s’offre à lui une composition triomphale: l’enfilade, de part et d’autre, de l’axe de composition symétrique de deux fois 7 tours de 8 étages liées par des mails d’arbres. Des tours résidentielles qui s’avèrent être les têtes des immeubles linéaires de 3 étages qui se développent parallèlement aux courbes de niveau. Au sol, l’allée centrale qu’elles délimitent apparaît magnifiée par un étagement de parterres végétalisés au traitement différencié et agrémentés de bassins liés latéralement entre-eux par des gradins piétonniers. Terrasses successives, parcours piétonniers, perspective cadrée par des tours, tout converge vers le Saint Graal de la composition urbaine: vers l’édifice collectif support de la vie communautaire et, plus encore, emblème du projet socialiste.

La composition du plan masse, le travail sur les volumes et les aménagement des espaces communautaires empruntent, c’est indéniable, au classicisme des représentations qui renvoient à la sphère de la monarchie, pour ne pas dire de la monarchie absolue. Pour Braillard, c’est là une manière de déjouer la monotonie que risque de produire la standardisation des volumes et des façades; plus encore, c’est là un moyen de conférer une nouvelle légitimité et dignité à l’habitat ouvrier. Plus prosaiquement, cela revient à donner aux habitants un espace de représentation propre à susciter leur identification au quartier. Un sentiment d’appartenance propice aux pratiques sociales: rencontres, jeux d’enfants, activités partagées.

Mais le dispositif linéaire qui rompt, pour la première fois, avec la construction en couronne d’îlot est aussi, incontestablement, moderne. Plus précisément, il renvoie au modèle des Siedlungen développé et appliqué à grande échelle à Francfort et à Berlin. Un modèle à l’avant-garde de l’architecture sociale européenne qui réalise alors les principes du logement pour l’Existenzminimum qui seront théorisés lors du CIAM de 1929. Un logement certes minimum, mais un logement hygiénique (air, lumière, soleil) et doté du confort technique moderne (chauffage central, cuisine et salle de bains équipées). Comme dans les exemples allemands, la volonté d’égalité démocratique des conditions d’habitation conduit à Moillebeau à des plans masses ouverts largement régularisés, à la répétition sérielle et à la normalisation de la structure et des éléments constructifs (portes, fenêtres, escaliers), à la standardisation et à la rationalisation des plans, ou encore à la spécialisation et optimisation dimensionnelle des pièces. En synthèse, un espace de vie rationalisé et hygiénique conçu et réalisé sur les mêmes principes que les biens industriels produits à la chaîne de manière mécanisée est accordé à un habitant défini comme un être universel, régi par des besoins biologiques et sociaux supposés identiques.